De l'îlot à la barre
De l’ilot à la barre[1]…
Ce livre -Formes urbaines : de l’ilot à la barre, de Jean Castex, Jean Charles Depaule, Philippe Panerai-, tout étudiant en urbanisme (les élèves architectes pourraient aussi s’y coller) doit l’avoir lu, tout au moins c’est ce l’on m’avait conseillé. En 1986/1987, étudiant en DESS d’urbanisme à l’I.A.R. d’Aix en Provence, je devais commenter un livre ou un chapitre d’un livre. Proche de Marseille, j’avais visité plusieurs voir la Cité Radieuse -la première- de cet immense architecte LE CORBUSIER.
Je choisis donc ce livre et particulièrement le chapitre 5 : Le Corbusier et la Cité Radieuse. J’ai rendu un travail de 18 pages et 13 pages de plans divers en annexe.
Les auteurs partent des hypothèses suivantes :
- L’espace physique, signifié par l’architecture est justiciable d’analyses objectives, révélant des décalages, des conflits, mais provoquant d’autres analyses : historiques, économiques, sociologiques ;
- Ces analyses objectives sont applicables à l’espace urbain, décomposables en éléments, pour faire émerger les différences.
L’espace urbain d’une ville est la résultante des modèles architecturaux, de leur élaboration, de leur transmission et de leur déformation au cours d’une période déterminée.
Ces modèle appartiennent au système de production de l’architecture et projettent une organisation spatiale. Cette organisation spatiale devient le support d’une pratique sociale. Cette organisation et cette pratique sociale génèrent un « espace urbanisé » contrôlable à travers un ordre social.
Les références de la recherche se trouvent dans les bâtiments et leurs relations aux quartiers et se mesurant par un des éléments constitutifs du quartier : l’îlot.
Ainsi, le livre s’appuie sur cinq exemples historiques :
- Le Paris Haussmannien 1853 -1882, (32 pages).
- Londres, les cités jardins 1908 -1925, (30 pages).
- Les extensions d’Amsterdam 1913 - 1934, (36 pages).
- Le nouveau Francfort et Ernest May 1925 - 1930, (28 pages
- Enfin Le Corbusier et la Cité radieuse.[2] (12 pages).
Ainsi le corpus étudié est délimité dans la période qui voit l’apparition de l’urbanisme au sens moderne du terme, à l’ère des bouleversements provoqués par l’industrialisation.
Dans mon document remis je fais part d’une imposture sur la forme de l’étude.
1 Sur la forme de l’étude : celle-ci est « présentée » en 12 pages dont 4 de plans ou photos, ou toujours 12 pages dont 6 sur la « façade », qui relève plus de la plastique architecturale plutôt que de l’espace urbanisé. Les auteurs ont sous-titré leur étude de l’ilot à la barre et non de l’ilot à la façade.
2 Sur le fond ; La Cité radieuse est un « mythe »[3]. Dès la première phrase les auteurs démontrent s’il le fallait l’ambiguïté de leur étude.
Rappel : le vrai nom de l’immeuble de Marseille est : Unité d’habitation de grandeur conforme. Le plan initial comportait 6 unités, plus une tour des célibataires et des services publics.[4]
La Cité radieuse n’existe pas. Elle reste un « mythe » Elle est un germe sur plan, jamais réalisé par Le Corbusier. Un plan dans un crane pour reprendre l’expression d’une des nombreux pourfendeurs[5] de Le Corbusier.
Amsterdam, Londres, Paris, Francfort se prêtent à une étude objective, à une lecture des pratiques spatiales, une analyse des organisations sociales.
Il n’y aura jamais de pratiques sociales dans la « Cité radieuse ». Il n’existe pas d’espaces urbanisés de ce type se prêtant à ces pratiques. Comment tirer objectivement des leçons de l’inexistant ?
Pendant les 12 pages de l’étude consacrée, non pas à la Cité radieuse mais aux unités d’habitation – unités uniques sur des sites spécieux – les auteurs glissent continuellement de l’architecture/construction à l’urbanisme (dans son concept d’architecture urbaine de la ville).
Disserter pendant 5 pages de la façade/paroi d’un immeuble de 50 mètres de haut – espace strictement bi dimensionnel pour le passant- ne donne pas la clé pour la compréhension des pratiques sociales et spatiales de l’unité d’habitation.
De la Cité radieuse (utopie/inexistante/ impalpable) les auteurs sont obligé de se rabattre sur l’unité d’habitation (œuvre palpable) support de pratiques sociales, support des valeurs, à rechercher « au cœur de l’unité ».
La conclusion de mon travail rendu ;
L’étude de Castex, Depaule et Panerai est sortie depuis 10 ans. Environ 8 000 volumes ont été diffusés et ont fortement influencé les idées sur l’architecture urbaine par une lecture rapide se résumant à :
1/ L’îlot c’est bien, la barre c’est mal.
2/ L’îlot est une périphérie bâtie.
3/ Le parcellaire médiéval et les centres historiques sont des modèles indépassables ! …
Une deuxième lecture soutenue, et appuyée surtout sur une expérience/confrontation de la réalité, éloigne de ces trois points et pourrait se redéfinir ainsi :
- L’îlot est avant tout une somme de barres. L’exemple type serait la composition des « ilots » du plan de Barcelone par Cerda.
Le véritable sujet du livre, de l’étude, est celui du rapport au sol des bâtiments, à la voirie et aux jardins privé (ou publics dans le cas de le Corbusier).
Il faudrait alors se rabattre sur l’idée de Robert Krier, d’un îlot périmètre, illustré dans les différents concours dont celui d’Amiens. Ainsi l’îlot ne serait plus un a priori formel mais la résultante d’un découpage foncier (hérité ou déterminé)[6].
C’était en 1986/1987, depuis l’architecte De Portzamparc a formalisé la troisième ville et l’îlot ouvert, en fait l’ilot barcelonais troué en quelques endroits.
[1] Formes urbaines : de l’ilot à la barre. Jean Castex, Jean Charles Depaule, Philippe Panerai. Editions Dunod, 1980.
[2] Pas de dates pour ce chapitre
[3] Page 173.
[4] A rapprocher du plan de de Meaux avec ces 5 unités.
[5] Tom Wolf.
[6] L’espace de la ville ; théorie et pratique, Robert Krier, AAM Editions, 1980.